Véronique Essaka-De Kerpel et l’imaginaire ouvert de la compagnie Volubilis

06/11/2017

By Christophe-Géraldine Métral

Écrire, jouer, mettre en scène la richesse humaine

Chaperon rouge écrit par Véronique Essaka-De Kerpel, publié chez Alna Éditeur

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, il y a quelques jours, j’ai mis en ligne la première partie de l’interview de Véronique Essaka-De Kerpel, dramaturge, comédienne, metteur en scène, enseignante française, habitant la région parisienne. Voici la seconde partie d’un entretien habité par une exigence : la représentation artistique de l’universel non régional.

Véronique Essaka-De Kerpel, fondatrice et co-directrice de la compagnie Volubilis, compagnievolubilis.fr

Quand la compagnie Volubilis a-t-elle été créée ?
Véronique Essaka-De Kerpel : La compagnie Volubilis a été créée en septembre 2004. On vient de fêter nos treize ans. Elle a été créée avec l’artiste dramatique Sylvie Serbin-Jeanson, avec qui je fais du théâtre depuis longtemps. Nous a, très, très vite, rejoints Ludovic Parfait Goma qui, lui, est un artiste complet : musicien, chorégraphe, danseur, metteur en scène, scénographe, auteur… MacGyver quoi (rires) !

La louche en or, création de la compagnie Volubilis, facebook.com

Le credo de la compagnie, d’emblée, a été la rencontre. C’est pour ça qu’on a commencé à travailler ensemble. Et depuis 2004, on a créé énormément de spectacles. Pour le jeune public et le tout public. On a des toutes petites formes, à installer partout : Sita, La voyageuse des Contes, Liluna et la poudre des Contes..., Comment ? Souvenirs d’Enfance. Il y a aussi La louche en or. C’est un spectacle que j’avais écrit, qui a été créé par la compagnie Zenga-Zenga, et que nous avons repris et qui continue de tourner.

Princesse Doumtac, un spectacle de la compagnie Volubilis, facebook.com

Puis, on a créé Princesse Doumtac. Et Chaperon Rouge le dernier-né de la compagnie ! C’est un spectacle jeune public que j’ai écrit il y a quatre ans environ et pour lequel j’ai été édité chez Alna éditeur.

Comment qualifieriez-vous l’esprit ou l’univers de la compagnie Volubilis ?
L’univers de Volubilis est pluridisciplinaire. Dans les spectacles tout public, on a de la danse avec par exemple, Sabuka qui a été créé par Ludovic Goma. Il y a Ntsimu… Mémoire qui a aussi été créé par Ludovic Goma. Et j’ai participé à l’écriture de Ntsimu… Mémoire, car il y a une partie jouée dans ce spectacle chorégraphique qui est très fort, habité par cette exigence de l’universel que nous avons abordé précédemment.

Ludovic Goma dans le spectacle théâtral Ntsimu… Mémoire, compagnie Volubilis, facebook.com

Ludovic Goma avait envie de parler de la folie de la guerre, à travers le bombardement d’Hiroshima. Il voulait, incarner de façon chorégraphique, un des soldats qui a appuyé sur le bouton pour larguer la bombe. Il faut se rappeler qu’ils étaient deux pilotes. Un qui s’est glorifié par la suite, parce que, d’une certaine manière, il avait participé à un acte historique. Et l’autre qui, quand il a réalisé ce à quoi il avait participé, est devenu fou. Ludovic Parfait Goma a pris le parti de celui qui devient fou et moi, j’incarnais une victime. Donc ce que le public a eu devant lui dans Ntsimu… Mémoire, c’est une femme Noire qui relate et incarne une femme asiatique et Ludovic Parfait Goma, homme Noir qui est le soldat américain blanc. Mais jamais on ne nous a posé la question de notre couleur de peau. Jamais. Les spectateurs étaient vraiment sur la matière humaine, la question essentielle, pas sur l’accidentel, c’est-à-dire notre couleur de peau. On a créé aussi, en tout public, Historia, l’adaptation du mythe d’Antigone.

Celle qui se bat comme un homme – Andromaque, compagnie Volubilis, facebook.com

Et Celle qui se bat comme un homme, une adaptation d’Andromaque à partir du texte de Jean Racine, mais en ne gardant que le texte, la voix d’Andromaque. Ce qui donne une lecture différente de l’œuvre originale, car, à la fin, Andromaque est héroïque. On a monté Tailleur pour dames de Georges Feydeau, Une heure avant la mort de mon frère de Daniel Keene avec la compagnie Baobab-bi, L’humanité tout ça, tout ça de Mustapha Kharmoudi.

La compagnie Volubilis présente Drum’s Bantu, facebook.com

Cet été est né le spectacle Drum’s Bantu avec des artistes au Cameroun et nous préparons la création La Manufacture des vivants, ma dernière pièce de théâtre parue au printemps aux éditions Acoria. Il s’agit d’une pièce qui, sur fond d’actualité, résonne avec le mythe d’Œdipe. Entre l’ici et l’ailleurs, hier et aujourd’hui, La Manufacture Des Vivants met en avant la construction de l’être et son processus identitaire, sous toutes ses facettes… On a toujours monté nos spectacles fort de cette idée, de cet élan de la rencontre artistique et culturelle avec des comédiens et des artistes d’origines diverses et variées.

La Manufacture Des Vivants écrit par Véronique Essaka-De Kerpel et créé par la compagnie Volubilis, facebook.com

J’entends affirmer que les personnes supposées noires s’autocensurent, qu’elles ont intégré les limites que leur impose le système, mais votre pratique théâtrale et votre désir de créer et de monter racontent l’inverse : que les limites ne viennent pas de vous.
Nous, on n’a pas de limites. D’ailleurs, c’est ce qu’on se dit, que notre seule limite, c’est l’imagination.

Concrètement, qu’en est-il du financement de la compagnie ?
On a un gros soutien qui est la ville de la Celle Saint-Cloud où nous sommes basés, avec la MJC, la Maison pour la jeunesse et la Culture, qui nous permet d’avoir un lieu, un vrai lieu dans lequel créer nos spectacles. C’est la K’Bane à Boukan qui est un aussi une salle de concert, de spectacles, un lieu de pratiques culturelles et sportives. De plus, la ville nous soutient en nous programmant, en nous proposant de faire des interventions. Après, le financement, ça peut être la Spédidam, ça peut être le Conseil général en fonction des projets… Bon, on n’a pas d’aide aux fonctionnements, on n’est pas subventionnée DRAC (Direction Régionale des affaires culturelles). Cela dit, on fait le pari de la visibilité ! On fait tout pour que nos spectacles soient vus, qu’on sache qu’on existe. Et du coup, on va aller jouer partout où on veut de nous. Quitte même, des fois, à ruser.

Ruser, c’est-à-dire ?
Accepter, en fait, qu’au départ, on puisse dire de nous, oui, ils vont faire un spectacle afro-caribéen dans le dessein que les gens puissent, en définitive, se rendre compte qu’on a juste fait, riches de ce qui nous nourrit, un spectacle. C’est jouer la carte du cheval de Troie ! (rires)

L’Humanité tout ça de Mustapha Kharmoudi par la Compagnie Volubilis

Pourriez-vous raconter les étapes de votre formation professionnelle ?
Vers seize ans, j’ai commencé à me former sérieusement ou, disons, intensément. Dans le cadre du lycée, j’ai travaillé de façon rigoureuse, en anglais, avec un coach de la Royal Shakespeare Compagny. J’ai eu la chance d’avoir des intervenants, des formateurs géniaux, comme Georges M’Boussi qui est un peu mon maître. C’est, j’ai envie de dire, la personne qui m’a mis le pied à l’étrier. Que ce soit dans le domaine du théâtre comme du conte. Il m’a initiée à la transe, le corps, le dire. Comme j’apprenais le théâtre en anglais et que l’anglais n’est pas ma langue maternelle, ça m’a permis de développer des éléments fondamentaux sur le corps qui me sont restés et que j’utilise encore aujourd’hui. Après, je suis allée à la fac et j’ai fait des études d’économie gestion sur les conseils – que je qualifierai de raisonnables – de mes parents qui considéraient, oui, bon, le théâtre, d’accord ! Tu veux faire ça, très bien ! Mais fais des études quand même. Durant mes années d’études
raisonnables, j’ai suivi un cours avec Daniel Casanova, qui était de la classe libre du Cours Florent. C’était un cours de fac. Daniel Casanova, lui, offrait un enseignement beaucoup plus classique. Donc, après avoir travaillé Shakespeare au lycée, j’ai découvert le théâtre classique dans ses profondeurs. Et, vraiment, c’était passionnant ! J’avais étudié ces œuvres au lycée, mais je n’avais pas eu ce travail d’exploration qualitatif, d’examen aussi pointu… Ensuite, j’ai continué les cours en allant au CDN, le centre d’Art dramatique national de Saint-Denis où j’ai rencontré Jean-Claude Fall, Yaël Bacry et Serge Tranvouez qui, eux, m’ont initié au théâtre contemporain… Ça a été encore une autre découverte passionnante ! Avec Georges M’Boussi que j’ai retrouvé après, j’ai découvert Sony Labou Tansi qui, pour moi, était un électrochoc, parce que j’ai grandi en France, comme vous, j’ai eu très peu de Noirs autour de moi et très peu de connaissances des artistes, auteurs Noirs. C’est quand j’ai commencé à travailler avec Georges M’Boussi que je suis entrée sur ce territoire inconnu et j’ai rencontré tous ces artistes, issus du continent africain et des Antilles, qui m’ont initié à ces écritures. Ils m’en ont dévoilé toute la richesse.

La louche en or, spectacle jeune public de la compagnie Volubilis, Youtube

Dès lors, j’ai commencé à chercher par moi-même et me renseigner sur ce qui existait. Au terme des années de fac, à partir de l’âge de vingt-quatre ans, j’ai commencé à travailler en continuant à étudier. J’ai toujours mené de front les deux, travail et études, comme, par exemple, pour valider un diplôme d’administratrice. Car il y a ces deux aspects-là en moi : le côté artistique et le côté organisation, administration d’une entreprise. Mais, plus que faire des études, ce que j’aime, c’est me nourrir en profondeur. Donc, depuis deux ans, je me suis lancée dans une licence de lettres modernes.

Jouer sur les planches vous conduit à écrire des pièces qui sont publiées.
Oui, être publiée est une démarche récente chez moi. Quatre de mes textes ont été édités en 2017. Depuis que je fais du théâtre, de la mise en scène, j’ai constaté que je ne trouvais pas toujours ce que je voulais entendre dans le répertoire. Que, parfois, dans un texte, je sentais qu’il me manquait quelque chose que j’avais parfois envie de rajouter, une réflexion que je voulais prolonger. Les textes ouvraient d’autres portes en moi qui me donnaient envie de poser d’autres questions. Alors, modestement, j’ai commencé à écrire…

La Manufacture Des Vivants de Véronique Essaka-De Kerpel, éditions Acoria

Ce désir d’écrire est contemporain des études et de la pratique théâtre ou il naît après ? Plus tard…
Chez moi, les deux activités, jeu et écriture dramatiques, sont étroitement liées. C’est le désir d’être édité qui est arrivé plus tard. Le désir d’écrire a toujours été présent. J’ai toujours écrit (journal, poèmes, histoires, nouvelles, etc.). D’ailleurs, je ne l’ai pas fait avec le projet d’être édité. Mais, à la sortie du spectacle qui s’appelle Chaperon rouge et que j’ai écrit et mis en scène, souvent les spectateurs venaient me voir en demandant si le texte était édité et où il pouvait le trouver. Au bout de deux saisons, je me suis dit que ça vaudrait peut-être le coup de chercher un éditeur. J’ai commencé à chercher et c’est Alna éditeur qui m’a rappelée, disant que le texte lui plaisait et qu’elle voulait l’éditer. J’étais particulièrement touchée, puisque c’est un texte qui me tient à cœur. Même si je pense qu’à chaque fois qu’on écrit, on parle un peu de soi, là, le point de départ de cette écriture était, vraiment, très personnel.

Personnel en quel sens ?
J’ai une fille qui a seize ans aujourd’hui. Son papa a la peau claire et moi, ma peau est foncée. Elle est ce qu’on pourrait appeler une métisse, même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce terme. Quand elle est allée à l’école en petite section de maternelle, elle avait tout le temps ses beaux cheveux frisés lâchés, mais, au bout de quelques jours, elle m’a dit qu’elle voulait que je la tresse et que ses cheveux soient bien plaqués. Il fallait qu’il n’y ait aucun cheveu qui dépasse ! Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle a répondu que les petites filles, à l’école, disaient qu’elle n’était pas jolie avec ses cheveux qui n’étaient pas couchés. Ça a été le début d’une douleur entre elle et ses cheveux, parce qu’elle n’a plus voulu lâcher ses cheveux jusqu’en CE1, CE2. On a eu beau lui dire, lui expliquer qu’elle était magnifique, le regard de l’autre était tellement sévère quant à sa différence qu’elle ne parvenait pas à dépasser ce jugement. Malgré tout, j’ai trouvé que son expression « les cheveux qui ne sont pas couchés » assez jolie, assez poétique. Artiste, j’ai eu envie de faire un spectacle s’adressant aux enfants afin de parler de la différence. Cependant, j’ai mis du temps à découvrir l’axe. Je voulais trouver une façon drôle, poétique de parler aux enfants et qui, en même temps, permettrait qu’ils entrent dans cette histoire sans se méfier. Et d’un seul coup, ça a fait tilt, tiens, Le petit chaperon rouge… Voilà une histoire qui est connue des enfants et vers laquelle ils peuvent aller sans a priori. Comme leur parent d’ailleurs !

Lucie dans Chaperon rouge de Véronique Essaka-De Kerpel, ticketac.com

Alors, je me suis imaginé une petite fille de huit ans qui s’appelle Lucie. Le papa vient d’ici, la maman vient d’ailleurs et, malheureusement, la maman est décédée. Ne pouvant plus vivre dans l’endroit où il a vécu avec la femme aimée, le père décide de partir. Ils vont dans un endroit où tout est petit, même et, surtout, les esprits. Lucie, qui porte vraiment la vie, se dit, bon, je vais aller à l’école, tout va bien se passer. Elle met son sourire jusqu’aux oreilles et, quand elle arrive à l’école, on lui dit qu’elle n’est pas jolie avec ses cheveux qui ne sont pas couchés. Comme elle a du tempérament et qu’elle est forte à la bagarre, alors elle se bat. Sauf qu’au bout d’un moment, toute cette colère, toute cette violence commence à lui peser.

Chaperon rouge créé et mis en scène par par Véronique Essaka-De Kerpel de la compagnie Volubilis

Elle décide de cacher ses cheveux. Elle cherche dans un placard et trouve un capuchon rouge qui a été fait par sa grand-mère, la mère de sa mère, qu’elle connaît très peu. La grand-mère habite dans un pays où les gens ont des cheveux comme Lucie. Elles échangent juste des cartes postales et se parlent, de temps en temps, par téléphone. Du coup, Lucie se cache sous ce capuchon rouge, se disant, ce qu’on ne voit pas, on ne peut pas s’en moquer. Elle croit avoir trouvé la solution, mais les choses ne vont pas se passer comme elle l’espère… Voilà, le début de cette histoire qui plaît aux petits et aux grands avec ses figures familières, comme la grand-mère, le chasseur et, bien sûr, le loup… Que serait le petit chaperon rouge sans le loup ?

La compagnie Volubilis présente Chaperon rouge écrit par Véronique Essaka-De Kerpel, youtube

Lucie, votre héroïne est confrontée aux regards qui voient, d’emblée, en elle une étrangère. Pourtant, a priori, on devrait, quand même, pouvoir accorder un prestige à l’étrangeté ou à l’étranger ?
Je suis tout à fait d’accord, mais il semblerait que cela dépende de la zone géographique d’où l’on vient ! L’accueil, ou plutôt le non-accueil des personnes quittant leur pays pour une question de survie l’illustre…

Votre Chaperon rouge fait sentir aux petits et aux grands qu’il y a une vraie dignité à l’étrangeté ou à l’étranger. Cette lecture personnelle du conte restaure le prestige de l’autre. Qu’on vienne ou non du même endroit, la rencontre est la question universelle.
Oui, la question de tout être humain. Et pour moi, ce conte est une belle rencontre avec le public. J’ai fait exprès de choisir une comédienne à la peau blanche. Elle a une perruque dont les cheveux sont bleus. Résultat : on dépasse la seule problématique du cheveu frisé, crépu, ondulé, etc., pour parler de la différence. De cette grande question humaine : comment regarde-t-on l’autre ? Comment s’ouvre-t-on à l’Autre ? Car on est toujours l’Autre de quelqu’un, on est toujours l’Étranger de quelqu’un. Mais après, qu’est-ce qu’on en fait ?

Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, la comédienne, metteur en scène, enseignante française Véronique Essaka-De Kerpel a publié
 chez Alna Éditeur, Chaperon Rouge (lire ici) et Pour qu’un sourire soit sur vos lèvres, vous mes disparus… dans le recueil Alna Éditeur a quinze ans –  volume 2 (ici). Le texte La Manufacture des Vivants est paru aux éditions Acoria (ici). Je vous invite également à découvrir la compagnie Volubilis et ses spectacles, sur son site, ainsi que sa page Facebook.

Sorti en 1991, Black and White de Michael Jackson est un hymne complet à l’humain dans l’expression de sa richesse, sa joie de vivre et sa colère libératrice :
Now I Believe In Miracles
Maintenant je crois aux miracles
And A Miracle
Et un miracle
Has Happened Tonight
S’est produit ce soir

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