Rachel Silski, Jacqueline Devreux, Christine Nicaise : l’entretien infiniment subtil
« Trois femmes, une rencontre » met à l’honneur des peintures, des photographies et des dessins de Rachel Silski, Jacqueline Devreux et Christine Nicaise.
Le vernissage de l’expo a eu lieu, en présence du poète et philosophe Jacques Sojcher, à la Maison des Artistes d’Anderlecht, deux jours après la Journée internationale des droits des femmes. C’est Escale du Nord, le Centre Culturel d’Anderlecht qui organise cette rencontre de trois artistes très différentes, mais qui ont en commun le souci de l’humain et de sa condition toujours précaire.
En dialogue sensible avec l’innommable du mythe ou de la grande histoire, l’art abstrait de Rachel Silski invite au recueillement et à la réflexion sur la démesure de l’amour et de la mort.
Les sujets de Jacqueline Devreux règnent où l’évidence le dispute à l’imprécis : dans un entre-deux troublant dévoilant l’ambiguïté de l’apparence que la peau masque bien plus que le vêtement ou la parure.
Alliance sobre d’élégance et de puissance, le geste esthétique de Christine Nicaise explore, avec une palette de couleurs denses et chaudes, la sensation, l’éphémère, la mémoire, la vulnérabilité inséparable de l’existence…
L’autre dénominateur commun de ces trois artistes est d’être femme. Si, dans le meilleur des mondes, souligner une telle qualité est superflu, la présente expo les réunit aussi à ce titre.
Nous naissons et vivons dans une société organisée de sorte que les actions et les œuvres de nos mères, leurs paroles et leurs qualités paraissent moins remarquables que celles de nos pères.
Seul le conditionnement social empêche d’admettre l’obscénité de cette dépréciation et à quel point le désordre de l’ordre établi est une insulte à l’intelligence du désordre.
Outre qu’il contredit notre expérience première, le phénomène marginalise la contribution – au passé et au présent – de la moitié de l’humanité, notamment sur le terrain des pratiques artistiques et culturelles.
Alors dans l’art de Rachel Silski, Jacqueline Devreux et Christine Nicaise, j’ai cherché le « quelque chose » qui dit la présence femme ou la touche de féminité.
Quel drôle d’exercice pour qui, à l’ordinaire, se passe du terme de féminité, ne comprenant guère de quoi il en retourne. N’empêche, chaque œuvre de ces artistes m’est apparue comme un don à la fois entier et mystérieux, profondément subtil.
La subtilité, est-ce leur troisième dénominateur commun ? Leur apport féminin singulier à la représentation de l’existence, donc au récit de ce que signifie être humain ?
Il est possible que dans la quête du sens, ces femmes artistes soient tentées par des chemins plus terrestres. Et plus audacieux, vu la propension de la tradition métaphysique occidentale à mépriser et dénigrer l’ici-bas.
Quand on a à s’épanouir dans un environnement moins favorable, où l’activité créatrice, en tant que nécessité vitale, est perturbée par les obligations familiales, les sollicitations affectives et professionnelles, quand le talent doit composer avec la complexité en chair et en os des régions du quotidien sans sacrifier une dimension à une autre, peut-être, à la pensée qui distingue et exclut, préfère-t-on celle de l’inséparation qui privilégie l’ouverture à l’autre…
Peut-être, au chant des sirènes dualistes opposant corps et esprit, sensuel et spirituel, émotion et raison, animal et humain, nature et culture, préfère-t-on la découverte des zones de nœuds, des lisières incertaines du rapport à soi et à l’autre, des profondeurs étranges du réel, des mystères de la mémoire tenace et, en même temps, fugace ou insaisissable.
Peut-être les états d’esprit pluriels, accordés à l’état des choses imparfaites et des êtres changeant, inclinent ces artistes femmes au tissage ou au tressage de liens qui repoussent les frontières de la connaissance et donnent à voir l’inaperçu de la vie qui semble ordinaire à nous, les dormeurs debout qu’elles parviennent à réveiller.
Et voilà bien ma seule certitude : Rachel Silski, Jacqueline Devreux et Christine Nicaise ont le pouvoir magnifique de nous arracher au train-train des jours pilotés par la pensée somnambule. De vive lutte, elles ont acquis le talent artistique de nous rendre à la dignité de sujet vigile et vaillant…
L’expo « Trois femmes, une rencontre » se tient jusqu’au 31 mars 2017, de 10 à 18 heures à la Maison des Artistes d’Anderlecht, 14 rue du Bronze, avec des visites guidées et des ateliers permettant au public de rencontrer les artistes.
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, quittons-nous avec la sonate pour flûte et piano de Mel Bonis (de son vrai nom Mélanie Hélène Bonis), une compositrice française née en 1858 à Paris et décédée en 1937.
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