Mon expérience photo de la mode qui pense grand le monde
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, en octobre dernier, un article du blog annonçait la 7e édition d’ETFWB (lire ici) qui s’est tenue du 26 au 28 octobre à la galerie Horta, non loin de la Grand-Place.
C’est côté coulisses, que j’ai vécu l’effervescence de la manifestation créée par la styliste Cerina de Rosen dont la vision esthético-éthique est à cent mille lieues des fashion weeks dans lesquelles le marketing de la transgression convenue n’égratigne guère les codes sociaux étriqués. Car, durant trois, jours, dans le centre de Bruxelles, Ethno Tendance offre, avec ses shows et sa palette d’activités, la preuve que le souci de ne négliger personne magnifie, ô combien, le spectacle. Un spectacle qui conte : il était une fois la célébration du vêtement, de la parure et de la parole sublimant l’humanité, honorant la créativité et les différences…
Revenons à la genèse de mon passage de l’autre côté du miroir : c’est la fille de Cerina de Rosen, Yvoire de Rosen, anthropologue et relation publique d’ETFWB, qui m’a proposé d’intégrer l’équipe des photographes. Dans l’envers du décor, que se passe-t-il ? La magie Ethno Tendance opère d’abord sur ceux qui l’orchestrent, éclaboussant les moindres recoins de la galerie Horta, tout partout esprit de feu, esprit du lieu vite rempli de chaleur humaine. Et davantage ! Il vaut mieux laisser son manteau au vestiaire.
L’élément, qui saute d’emblée aux yeux, est l’ampleur de, quel défi, l’organisation. Elle repose sur le bénévolat. Mais sans l’emballement des équipes de volontaires, souvent jeunes, mais pas que… l’événement n’existerait peut-être pas ou, du moins, n’aurait-il pas acquis cette envergure internationale.
À propos d’organisation, dans l’équipe photo, chapeautée par Nathan Lassyri, manager plein de peps communicatif, il y avait Michel Kutendakana ayant déjà couvert les précédentes éditions, tous les autres photographes étaient novices. Selon la disponibilité, les uns se relayaient au tapis rouge, à la photo booth (cabine photo) et son message Black is Now, les autres allaient en backstage (coulisses), dans le pop-up store (marché éphémère), autour du bar dans le hall central et ailleurs…
Avant le jour J, Nathan nous avait briefés quant aux objectifs, aux lignes directrices et à la manière de procéder en fonction des tâches choisies suivant nos goûts.
Le 26 octobre, en fin d’après-midi, après les présentations aux uns et aux autres, s’est déroulé le dernier briefing préparatoire à la soirée d’ouverture. Une soirée de prestige, en forme de sacré baptême du feu où tout est allé vite. Mais, au fond, les trois jours d’ETFWB ont filé à une vitesse folle-folle-folle et gaie.
Pas à dire, cette immersion, l’aventure riche en émotions galvanisantes, est inoubliable. Les interactions de toutes parts, de bout en bout : un vrai bonheur ! Avec, d’abord, le public, toujours partant : sa joie de vivre est tangible, affirmé son désir de jouer le jeu, prendre la pause, sauf les éternels intimidés par l’objectif pour lesquels il faut trouver la poignée de mots qui prêtent de l’assurance. Ensuite les photographes, tous différents, si cordiaux, passionnants et motivés…
Quoique habituée à naviguer seule, c’est ainsi qu’on écrit, travailler en équipe, dans cette dream team, sa bonne atmosphère, m’a prêté du ressort. Quelquefois, je me suis bien sentie piégée par mon enthousiasme, bon sang, qu’allais-je faire dans cette galère ? Mais peu importe les difficultés, vite elles ont été résolues, le sourire aux lèvres, fièrement Black is now.
Nathan, notre manager, tout en couvrant l’ambiance, venait aux nouvelles et dispatchait les tâches : voilà comment je me suis retrouvée au tapis rouge. À côté de la porte d’entrée, la zone marâtre où les courants d’air et les effets thermiques font de l’excès de zèle… Pas longtemps ! Notre responsable a écourté mes souffrances et Michel pris le relais, qui a fait ça nickel. Chapeau bas !
Quant aux mannequins de toutes beautés, qualités physiques, couleurs, de tous genres et âges, quant à ces extraordinaires et franchement cool, ils racontaient venir des quatre coins de la Belgique et de plus loin, comme la jeune personne habitant Paris, qui, inquiète, des trémolos dans la voix, avouait défiler pour la première fois, chose que la débutante a faite avec majesté ! Une mention pour les bénévoles du catering qui nous ont bichonnés et, à leur façon ferme et bienveillante, recadrés : au fil des heures, la fatigue fait perdre un peu de sens commun et de la courtoisie de base.
Les reportages dans les salons du livre et les festivals littéraires, les journées afro-féministes et de luttes militantes, m’ont développé une certaine endurance, un enthousiasme marathonien, mais ici, c’est un cran plus intense, exigeant s’agissant de conserver son sang-froid, surtout au moment du show où, stop ! il faut foncer et prendre place le long du catwalk, sauf pour Laura qui shootait en backstage.
Le gong de mon petit cœur a souvent accéléré. Le rythme des présentations est rapide, encore plus diaboliques speed les jeux de projos et de lumières. On mouille sa chemise jusqu’à épuisement des batteries, et ce avec la meilleure volonté ! Une bonne humeur se ressentant dans chaque parcelle de l’endroit, où on est bien là, présent à soi et aux autres, parce que ça fait sens, que l’événement fédère, est digne d’efforts et de dépassements.
Comprenez, ça signifiait, notamment, montages et démontages quotidiens des décors pour le staff des techniciens et des stands pour les exposants proposant leurs objets, vêtements et créations…
Volontiers, on reproche, aux groupes minoritaires, de seulement dénoncer, comme si la dénonciation n’était pas portée par une vision de la vie féconde, ajoutant au reproche qu’ils ne proposent rien de concret. ETFWB fait mentir l’argument, en vitrine innovante de talents qui, hélas, pour le bonheur du public, sont trop souvent et longtemps dédaignés.
N’étant pas blogueuse mode ou technicienne du genre, c’est en amatrice d’art que j‘ai apprécié les shows dont la qualité ravit… déroute, au sens heureux du terme.
Les créations sont époustouflantes, d’un chic phénoménal, audacieux, fantastique, original, coloré, mythique, élégant, expérimental, souverain, étrange, onirique, spectaculaire, fabuleux, charmant, poétique, inventif…
Quel vrac de sensations ! pourrait-on dire. Mais, c’est histoire de rappeler à quel point designer africain est une formule creuse, chaque artiste exprimant, c’est le bon sens même, son ADN, le monde singulier qu’il a développé.
Du coup, les propositions visuelles des tableaux successifs des défilés n’ont qu’un commun dénominateur : transporter où la quête de l’excellence ne sacrifie pas l’humain et où l’imaginaire élargi des stylistes explorent, interprètent, transforment, renouvellent, exaltent des pans de l’immense territoire que sont les cultures et les mémoires noires.
Sur les stands du marché éphémère se déploie le savoir-faire ethno-raffiné d’artisans d’art, d’authentiques passionnés, préoccupés par la noblesse des matières naturelles, la qualité de la finition, le souci du dépassement, le message de respect, d’amour, de solidarité que leurs imaginaires transmettent.
Pareils professionnalisme et investissement dans leur mission chez les coachs et les conseils en beauté, spécialistes en maquillage et soin capillaire animant des ateliers qui enseignent comment bien s’occuper de l’apparence et que prendre soin du corps, c’est se préoccuper de l’être. Ethno Tendance Fashion Week Brussels est aussi la tribune ouverte aux voix contant leur intelligence des possibles, en même temps que la lutte contre la fermeture des milieux artistiques.
J’aurais été au regret de manquer la conférence de Mata Claudine Gabin, Sabine Pakora et Karida Touré. Ces trois actrices ont contribué à Noire n’est pas mon métier, ouvrage paru, en mai, aux Éditions du Seuil, ouvrage regroupant les témoignages de seize personnalités du cinéma dont la montée des marches, le poing levé, est un moment fort du dernier Festival de Cannes, où le sort fait aux femmes, dans la profession, est enfin devenu une préoccupation, sous la pression du #MeToo (#BalanceTonPorc, en France) qui a encouragé les femmes à témoigner sur les réseaux sociaux. Pour rappel, #MeToo est utilisé, depuis 2007, par l’afro-militante américaine Tarana Burke, dans des campagnes qui dénoncent le harcèlement, les agressions sexuelles et les viols que subissent, en autres, les minorités visibles.
Autre conférence marquante : Black Arts & Decolonization avec la chercheuse en sociologie des arts Véronique Clette-Gabuka (intervenant sur ce blog ici et ici), la comédienne Babétida Sadjo et l’auteure, metteur en scène et comédienne Eva Doumbia, une des quinze plumes ayant contribué au remarquable Décolonisons Les Arts !, sorti chez L’Arche Éditeur. La médiatisation des agressions racistes perpétrées, cet été, en Belgique, des témoignages de victimes de discrimination, des situations d’injustice flagrante et la mise en évidence de la sous-représentation quantitative et qualitative de certains – des toujours mêmes certains – ont le mérite de montrer la gravité de l’iniquité sociale, trop souvent minorée.
Mais la société n’évoluera qu’en créant et en multipliant les espaces vivants de dialogue, de partage des expériences, des points de vue et des savoirs, comme les conférences, les ateliers de perfectionnement et les master class qu’ETFWB a proposés au tout-venant placé en condition favorable pour s’initier à ces matières ou développer une meilleure conscience de la réalité.
Un chiffre : dans l’industrie de la mode, 90% des mannequins sont blancs, jeunes, valides, d’une maigreur outrancière… Que penser de la hiérarchisation de la beauté ? sinon que la standardisation des critères physiques n’est pas tant synonyme de séduction, que d’exclusion. Une exclusion qui est une tragédie mondiale !
Pointer du doigt l’élitisme de la mode : à quoi bon quand ces chiffres sont le reflet d’un mode de vie indigne de la diversité humaine et de nos besoins relationnels qui ne se réduisent pas aux rapports de forces ?
Car, il faut le répéter, encore et encore, cette culture du mépris qui maçonne les frontières physiques et les murs mentaux, avant d’être économique, est idéologique. Il ne s’agit pas des règles du marché qui a bon dos, mais des lois de l’idéologie du système dans lequel nous circulons en chair et en os. Une idéologie hyper hiérarchisante qui génère du malheur et préside à la destruction du monde naturel, notre bien commun.
À cette guerre faite à l’abondance et la richesse vivante, il est juste d’opposer la pensée de la joie ! Comme le fait l’ETFWB, le génie de la révolte solaire.
Aussi, chaque soir, au terme des défilés, les mannequins, investissant le catwalk, entraînaient par la main une partie de l’assistance habillée en noir classe, c’était le dress code ! Assis ou debout, indifféremment de la condition, valide ou non, jeune et moins, tout le monde, se sentant hors du commun, scandait, alors, le poing levé, Black is Now, le message de l’événement, de l’affaire d’être ensemble et de respirer et de rire fort, de bouger et danser largement ailleurs, en un cortège abracadabrant, chaotique et joyeux. Un merveilleux carnaval de la vie bien vue…
This is Fashion ! s’écrierait Cerina de Rosen, la magicienne de la mode qui repense grand le monde. Et, avec ses filles, Yvoire et Mélissa, raconte une histoire de famille immense et de choses qui changent. Alors, écoutons-la cette histoire ! Notre belle histoire qui dit que, décidément, les femmes sont l’avenir de l’humanité solidaire, et qu’il faut, au nom de cet avenir, rester assaillant·e·s, puis venir nombreux au rendez-vous d’Ethno Tendance Fashion Week Brussels 2019, la 8e édition qui se déroulera du vendredi 25 au dimanche 27 octobre. Save the date !
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, en vous invitant à retrouver les infos, news, actus d’Ethno Tendance Fashion Week Brussels sur Facebook ici, sur Instagram ici et sur Twitter ici, où vous pourrez aussi admirer les photos des membres de l’équipe photo, on se quitte avec You’re Simply The Best de Tina Turner, la queen of rock & roll.
0 commentaires