Où il importe d’apprendre du papillon
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, qu’ils ont été longs ces mois de pause ! Pour des raisons de santé. Un problème d’hypothyroïdie, précisément, que Colette Manirakiza, ma coiffeuse a repéré la première. D’où le conseil suivant : écoutez les spécialistes du cheveu qui savent que celui-ci trahit une forme bonne ou non. Et, quant à la sagesse que développe ce métier, je vous renvoie à l’interview de Colette, lire ici.
Avant de reprendre la route des Vagabonds Sans trêves belle à en vivre insensément, à inventer, à poétiser des rapports singuliers, tendus vers la quête de la qualité, si nous faisions le point ? Notre dernière halte était avec Aimé Césaire et Vertus des lucioles d’Aimée Césaire, poésie sur le thème de la persévérance, lors d’une traversée nocturne, soutenue par les minuscules lueurs improbables des mouches à feu (lire ici). Je n’imaginais pas combien ce qui m’apparaissait des vœux de bon aloi pour 2019 serait prémonitoire. Tout au long de cette rude année côté santé et humeur, par bonheur, l’amitié a ménagé des plages chaleureuses d’échange et le hasard, qui fait bien les choses, vrai, ça existe, offert de précieuses rencontres. J’ai également pas mal progressé dans la pratique de la photographie.
La santé est un état aussi précaire que la paix. Et l’entretien de l’une comme l’autre appelle l’enthousiasme, cette joie que le philosophe français Clément Rosset nomme la force majeure, la qualifiant, par définition, d’illogique et irrationnelle. Ma formule, c’est la résistance radieuse qui, dans l’état souvent désespérant des choses, cherche le chouïa de passion exhortant à créer et à se réjouir aussi de la chance d’être soi, vaille que vaille.
Avec mon allant recouvré, comme une sorte de renaissance, je me rends compte que ce blog aborde des problématiques collectives qui me touchent personnellement (voir la catégorie entretiens compris ici), mais laisse mon quotidien dans l’ombre. Sans doute par pudeur. Au sens de Joseph Joubert lorsqu’il écrit la pudeur est le tact de l’âme. Il s’agit donc moins d’un refus de manifestation ou d’une rétention de contenu que d’une inquiétude constante quant aux questions formelles, en témoigne la catégorie des textes personnels (voir ici). Il y a également eu, en ce qui concerne ma santé qui s’améliore petit à petit, l’incapacité de dire faute de réaliser ce qui se passe. Là, comme ailleurs, on peut longtemps rester inattentif aux signaux par manque compréhension, d’informations utiles, d’outils et de repères permettant de se situer, poser les questions pertinentes, relativiser à bon escient, replacer les expériences dans leur contexte, réagir, s’alarmer de façon opportune…
Au cas où vous l’ignorez, la thyroïde, organe situé à la base du cou, sous la pomme d’Adam, et qui a la forme d’un papillon, régule nombre de fonctions corporelles : température corporelle, hydratation de la peau, sommeil, humeur, poids, digestion, mémoire, concentration, système pileux, vie sexuelle… Qu’elle fonctionne mal, que le papillon dans la gorge batte de l’aile et la vitalité s’effondre…
Ayant subi, il y a presque dix ans, une ablation d’un des deux lobes, c’est-à-dire une thyroïdectomie partielle, il me faut prendre un traitement quotidien de substitution hormonal. Je ne sais quand, précisément, mais la césure se situe en 2015 avec la nouvelle formule de l’hormone de substitution, il a commencé à décliner, le papillon à une aile dans ma gorge… Toujours est-il que ma vitalité s’est lentement effritée, et conséquemment, le moral mis en berne. La métaphore la plus proche, voyez-vous, est la falaise lentement érodée par les vagues…
Peut-être est-ce aussi à cause des fréquentes navettes entre Paris et Bruxelles que je n’ai pas interprété la fatigue grandissante ? Que j’ai négligé le cumul des indices, de l’interpréter comme un mouvement de délabrement ? Si jusqu’à mes dernières forces, accrochée bon gré mal gré, j’ai maintenu le cap, ricoché d’une capitale à l’autre et même plus loin, c’est que dès les premiers articles, en février 2016, j’ai eu l’intuition que le blog devait être, à l’image des sujets qu’il traite, transcontinental, au moins, à cheval sur les continents autour de l’océan Atlantique, porté en quelque sorte par les mots d’Édouard Glissant : agis dans ton lieu, pense avec le monde. C’est le souffle qui anime la catégorie coups de tête (lire ici), parce quoi qu’en disent les pessimistes, il est toujours temps pour la solidarité qui décloisonne l’esprit, la liberté conçu comme le respect de tous, à commencer par le plus précaire, toujours temps pour bousculer les pensées périmées, les croyances consolidées par les fausses évidences de l’habitude afin que la réflexion jaillisse, que la créativité s’ébranle, prenne son envol…
Ces troubles thyroïdiens m’ont mis mal de chez mal, vraiment, j’étais sur les genoux, et je suis encore pas mal bof, le réajustement est long, sûr, mais rien à voir avec le début du mois de juillet bien H.S., insomniaque, migraineux, muscles engourdis et articulations douloureuses, gonflées, tordues, en gros, une sensation de corps de pierraille, au ralenti, de dépérissement étrange, accablant de stagnation en moi-même, de petits fardeaux endeuillant, de moches tracas rikiki apparemment, mais dont l’accumulation dit l’organisme glissant vers le bord de la falaise.
Après que le problème a été diagnostiqué m’a secourue cette phrase célèbre de Maya Angelou dans Rainbow in the Cloud : We delight in the beauty of the butterfly, but rarely admit the changes it has gone through to achieve that beauty (Nous apprécions la beauté du papillon, mais admettons rarement les changements qu’il a subis pour atteindre cette beauté). Je n’ai pas arrêté de réfléchir ces mots de Maya Angelou, qui m’ont prêté une sérénité nouvelle face à l’évidence de mutation exigeant vaillance et attention. Loin d’une caution de la souffrance ou d’un prosaïque : on n’a rien pour rien, il s’agit, je crois, de rappeler que la transformation est force de vie, insérable du fait d’exister. Il nécessaire de quitter un état pour en rejoindre un autre et ce mouvement se fait pas sans effort ni douleur, ni joie poétique de réinventer les rapports avec son corps et le monde.
L’immense poétesse et romancière américaine convoque le papillon symbolisant la beauté évanescente et le mystère des changements successifs d’apparence et des métamorphoses spirituelles. Voilà une symbolique presque universelle, ancienne et profondément enracinée dans les imaginaires !
Dans l’Antiquité hellénique, la figure allégorique de l’Âme était répandue sous la forme d’un papillon ou d’une jeune fille aux ailes de papillon. Les poètes grecs jouaient déjà du double sens du mot psyché, ψυχή, psukhế signifiant papillon et âme en l’occurence « souffle de vie ».
La culture occidentale est héritière de la représentation archaïque de cette princesse d’une beauté intimidante de déesse à qui les dieux offrent, en fin de compte, l’immortalité : les aventures de la sublime Psyché avec le dieu Amour (Cupidon ou Éros), les épreuves qu’elle traverse pour retrouver l’amour, sont chantées et contées, autour de la Méditerranée, par maintes traditions orales. Est-ce abusif de conclure que ces chants et ces contes ont en commun le message affirmant que notre corps est précieux et notre parole est considérable ? Peut-être pas si cette conclusion est ouverture, promesse d’inattendus de la rencontre amie, la rencontre dont le chemin de l’entretien sans fin est bordé d’à bientôt chaleureusement.
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, pour l’instant, j’avance comme Marcel Moreau dans La terre est infestée d’Hommes : Ma convalescence se poursuivait, ou plutôt, elle reculait en même temps que mes pas, tandis que le mot CONVALESCENCE, au contraire, prenait un relief irisé, devant moi : son corps ondulatoire me troubla.
En tout cas, une chose demeure : le final musical ! Histoire de redémarrer en beauté, du chanteur, musicien, compositeur et acteur américain Lenny Kravitz le Fly Away :
Oh I want to get away
Oh je veux m’évader
I want to fly away
Je veux m’envoler
Yeah yeah yeah
Ouais ouais ouais
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