Contour d’une perspective résistante sur l’actualité
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, il y a un petit temps, le hasard a bien fait les choses, dans l’espace culturel Lis Thés Ratures, en me permettant de croiser la route de Jack Exily, l’auteur des Chroniques de Simon Soul, dont l’historien François Durpaire dit, dans la préface de l’album, qu’il a un regard enraciné. Enraciné mais aussi enrichi de tous les espaces visités, car il est aussi en perpétuel nomadisme. Mais voilà, l’identité, saturée de rigidités, de figements et de fantasmes de pureté, cette pauvre définition bruyante et agressive néglige le caractère dynamique de la notion d’identité qui est essentiellement inclusive, inspirée et, par bonheur aussi, indocile…
Jack Exily, dessinateur français né à la Martinique, s’est nourri d’influences diverses, a ramassé, au gré des lectures et des rencontres avec des amis de grand chemin, des bouts remuant et bien vivants de tout partout pour offrir au public une plage d’impertinence pertinente : Les chroniques de Simon Soul. Le livre apparaît le fruit d’un mouvement vivant de réflexion sur l’actualité dont le double élan d’ouverture à l’autre et de passion de la connaissance est une des ressources que l’inventivité créole offre au monde. Autrement dit, à la pensée non régionale de l’universel. Autant de raisons d’interviewer Jack Exily, un artiste au talent vagabond XXL qui clame intensément (r)évolution…
Quelle volonté anime Les chroniques de Simon Soul ?
Jack Exily : Mon idée était de ne pas rester dans les questions antillaises, les limites que justement, on attend, dès qu’on voit une couverture avec un personnage dont la couleur de peau est foncée. Et, bien sûr, l’origine de l’auteur ! Je suis Antillais de Martiniquaise. Personnellement, je me considère avant tout comme un Caribéen, lié aux Haïtiens, Dominicains, Cubains… Ce qui m’intéressait dans ce livre, était de comprendre ou de faire comprendre l’actualité à travers un personnage, Simon Soul, qui paraît sympathique, mais aussi à travers les contes créoles. Par le passé, j’avais travaillé avec François Durpaire, un historien et journaliste. Quand il a vu le projet, il a décidé de m’écrire une préface dans laquelle il explique, en accord avec la pensée d’Édouard Glissant, que « ce sont de ces petits pays que la mondialité s’observe et se construit ». Mais il ne faut pas s’attendre, parce que je suis Antillais, à ce que je ne parle que de problématiques antillaises.
C’est l’évidence qu’une voix singulière peut prétendre à universel. Qu’aucun lieu de la condition humaine n’est régional.
C’est ça ! Je me suis beaucoup intéressé à la révolution mexicaine et j’ai compris que, dans cette révolution, la motivation des gens était de préserver leur terre et leur mode de vie. Raison pour laquelle on se passionne autant pour la révolution mexicaine passionne, il n’y a qu’à voir le nombre de films et de livres.
Le personnage de Simon Soul est un mélange d’Aimé Césaire et d’Emiliano Zapata, c’est une boutade que j’aime utiliser ! Zapata, l’homme analphabète qui comprend le sens des choses et qui a utilisé le seul moyen de pression : les armes ; Césaire, l’homme calme, en apparence, qui a utilisé le langage, l’outil-langue, la langue française justement, pour dénoncer les choses.
Dénoncer à travers la poésie !
À un journaliste qui m’interviewait récemment, j’ai dit que je comprenais, maintenant, la force de la poésie, en dictature, mais aussi, en démocratie. Là, également, il est difficile de dire les choses. Je prends l’exemple du dessinateur de presse qui a dit : on est obligé de s’autocensurer, parce que ça peut être dangereux. Dans des rencontres-débats, des manifestations, je raconte ça au public en signalant que ce n’est pas un dessinateur libyen ou nord-coréen qui parle ainsi. Mais quelqu’un qui réside à Los Angeles. Parce que, quand vous faites un dessin, vous devez le vendre, le présenter au rédacteur en chef qui le refusera s’il ne correspond pas à la ligne éditoriale du journal. Toute la problématique est là. Pour les dessinateurs, comment s’engager dans certains combats ?
Dans Les chroniques de Simon Soul, j’ai, dès lors, abordé tous les sujets du mieux que je pouvais, c’est-à-dire, le plus justement possible, sachant que, derrière, il y en a toujours qui vont essayer de démonter ou de démontrer le contraire. Ou faire semblant de ne pas comprendre… Même entre nous dessinateurs ! J’ai eu affaire à des auteurs qui m’ont fait remarquer, bon, tu utilises tel personnage, alors que tu ne sais pas vraiment ce qui en résulte, etc. Mais, à la base, j’ai une formation de journaliste. Du coup, le recoupement d’informations, ça je sais faire. Alors, avec la prolifération de blogs et le pouvoir des réseaux sociaux, j’ai pensé que je devais être juste et, comment dire, moins réactifs. Ce qui est intéressant avec un livre est qu’on doit prendre le temps ! La ressource qui manque, de plus en plus, aux gens, aux auteurs et aussi au public, c’est le temps. On est dans l’immédiateté, tout le monde est toujours très pressé. Je suis en train de travailler avec une ancienne éditrice qui est aussi une amie. Et elle est un peu dans ce rapport-là. Elle est très pressée de voir des choses, je trouve ça plutôt drôle… mais on sent bien l’empressement, cet empressement contemporain. Elle a hâte que le dessin, que je suis en train de lui faire, se réalise, même si elle connaît le rythme, l’organisation qu’il faut pour bien réaliser les choses, le bon coup de crayon, l’intuition, l’inspiration, tout ça… Et tout le monde, même des gens éduqués, très lettrés, se font avoir par le piège du temps. Moi, je suis de moins en moins pressé. Ça me fait penser au fait que, quand j’ai commencé la bande dessinée, il y a vingt-cinq ans, pour publier les dessins, ce qui était intéressant, c’est qu’on avait un rapport avec les gens directement. Une fois le dessin achevé, on devait aller voir le type qui devait le publier. Parfois, on lui envoyait un fax pour que soit un peu plus rapide. Mais, on rencontrait les gens.
C’est donc en réaction à la prolifération de l’information, que vous imaginez Les chroniques… ?
Je me suis dit que j’allais essayer de comprendre ce qui se passe, comprendre quels sont les intérêts qui convergent ou qui divergent dans ce monde, comme il se présente à travers les canaux d’information, les réseaux sociaux. Je suis en train de préparer le tome 2 et j’ai voulu vraiment comprendre les sujets et le traitement de l’information à travers le regard de Simon Soul. Je vis en Europe, mais j’ai gardé ma mentalité d’homme du Sud. C’est ça qui fait aussi ma force. Je n’arrive jamais à m’inclure dans une mentalité européenne.
Européenne ou occidentale ?
Non, européenne, parce que je vis principalement en Europe. Vous savez, aux États-Unis, c’est encore autre chose. Je vois bien quand on traverse l’Atlantique que, comment dire… Il y a une vraie problématique d’illettrisme européen. Est-ce que c’est parce que, pendant plusieurs siècles, ils ont eu l’occasion d’être ceux qui tiraient la barque… ?
Les pourvoyeurs de sens, en fait, et… de non-sens ?
Voilà !
Disant Occident, je parle du mouvement qui veut que les choses du sens doivent aller du centre vers la périphérie.
Il y a aussi cet autre mouvement : celui des choses que le centre prend de la périphérie pour se construire. Par exemple, j’aime bien visiter les châteaux. Mais, je sais aussi ce qu’il y a derrière ça. Je ne sais pas si les gens font des liens entre la grosse période de l’esclavage et le fait que l’Europe a pu devenir ce qu’elle est devenue. À part les lettrés, les connaisseurs, les Blancs, à mon avis, ne le font pas. Le grand public ne le fait pas. Les gens des périphéries ne le font pas non plus. Aussi ceux, qui ont le désir de comprendre comme moi, tâchent, avec leurs petits moyens, d’avoir des perspectives. Cet exercice : la mise en perspective, suppose qu’on comprenne le point de vue de l’autre, mais aussi que l’autre comprenne votre point de vue. Je trouve que c’est ce qui manque au centre. Il n’y a pas assez d’éclairage, de conscience des différentes cultures. Il n’y a pas cette compréhension des périphéries… L’Occident, le centre, veut toujours que les périphéries puissent lui ressembler. C’est dommageable et ça arrive même aux communautés qui vivent dans le centre. Je vis en Europe et finalement, je vis comme un Européen. Mais, comme je l’ai dit, j’ai gardé ma mentalité du Sud.
Comment qualifiez-vous la mentalité du Sud ?
C’est une philosophie, bon, c’est un bien grand mot, mais disons, une philosophie de vie qui serait différente, notamment, s’agissant du temps. Là, le temps, ce n’est pas forcément de l’argent.
Vous parlez du rapport au temps ?
Oui, il fait tout le temps plutôt beau, chez nous. Ici, il y a un temps où, c’est sûr, les choses vont se gâter. Se gâter pendant l’hiver ! Alors on se prépare différemment.
Cela dit, quand je vois les événements, avec les cyclones, comme Irma, dans les Caraïbes, côté français, on n’a pas compris l’importance, le danger. Alors qu’eux-mêmes ont un centre qui serait très organisé. Mais le centre parisien n’a pas compris qu’il fallait préparer, de façon adéquate, les populations des périphéries des Antilles françaises. À ce propos, j’ai une anecdote. La veille du cyclone Irma, dans la matinée, j’ai rencontré une spécialiste dans le domaine de la distribution, et cette personne, qui a une formation d’océanographe, m’explique, vous allez voir, ça va être une catastrophe. On n’est plus à un niveau de catégorie 5, mais au-dessus ! Les experts, eux-mêmes, reconnaissent n’avoir jamais vu ça. Je réponds, ah bon ! Et le lendemain, la catastrophe qui m’a été annoncée en huis clos, je l’ai vue en direct. Mon sentiment est que le pouvoir central ne prend pas assez en compte toutes les connaissances. Car, la personne, l’océanographe, qui m’a averti est d’origine caribéenne. Elle connaît ces régions et sait comment organiser la prévention de ce type de catastrophes. Conclusion, il faut sans doute qu’on fasse l’effort d’éduquer le centre sur les problématiques qui ne sont pas leurs problématiques, car celles-ci les intéressent moins.
Mais, dès qu’on sort de l’objectif du renforcement du pouvoir central, dès qu’on quitte cette finalité rigide, on constate que les problématiques de la périphérie sont aussi celles du centre. Ce sont des questions cruciales, des enjeux humains fondamentaux pour la vie du centre, pour le peuple, les esprits contestataires qui, depuis des siècles, luttent contre le despotisme, c’est-à-dire pour l’assouplissement du système. De sa violence…
Au-delà des manifestations où les forces de police exercent une violence physique, je trouve que la violence est avant tout verbale…
La violence verbale est le produit de notre façon de vivre très hiérarchisée. Elle est inhérente à l’organisation, la structuration sociale injuste… Ces relations asymétriques qui permettent au centre de discréditer une partie de la population et de la maintenir vers des zones où sa parole aura moins de poids, son talent moins de visibilité.
J’ai parlé de la révolution mexicaine qui était une lutte armée. Maintenant, la lutte, c’est le rapport de force du discours au moyen des médias. Précisément, des grands médias ! On voit bien que ceux qui contestent, pour qu’ils puissent bien contester, toucher un maximum de gens, doivent quand même passer par les grands médias. Bien sûr, on peut toujours contester dans son coin ou en publiant votre petit bouquin, et alors le ressenti, c’est à quoi bon ? Or, ce que je pense, c’est, et je le dis souvent, une plage est composé de grains de sable. Ah oui, un grain de sable, c’est infime ! Mais si plusieurs grains de sable peuvent enrayer une machine. Même un seul grain ! Vous soyez, on change de perspective…
Le grain de sable, c’est la voix du poète ? Césaire publiant garde les esprits ouverts, éveillés…
Oui, mais toujours ça demande du temps. Ça se fait sur une génération. Il faut du temps, des rencontres et des échanges. D’ailleurs, sur un projet comme Les Chroniques de Simon Soul, j’aimerai faire, un jour, une expo qui montrerait le nombre de mails qui ont été échangés. Même sur des projets plus modestes, comme en ce moment où un projet de couverture que je suis en train de réaliser, il y a beaucoup de messages échangés. Mais on ne se voit pas ! On ne peut pas se voir, à cause de la distance. Les créateurs, c’est de plus en plus fréquent, vivent dans des régions éloignées l’une de l’autre. Ça devient plus facile d’entrer en contact, mais, en même temps, ça étiole aussi la consistance même des synergies. À l’époque, je m’en souviens, je travaillais dans une rédaction aux Antilles, on allait dessiner sur place. On avait une grande table et il y avait trois ou quatre dessinateurs qui dessinaient en même temps. Ça me manque ce gendre de fonctionnement. J’ai appris à avancer en solo. Mais quand même… Il faudrait un organe de presse pour revenir à cette dynamique-là où on est moins isolé ! Peut-être, ce serait intéressant pour la jeune génération qu’elle réapprenne à interagir ainsi. Car il n’y a que comme ça qu’on peut se sentir, se voir. Et éventuellement échafauder un plan d’attaque, de résistance créative parce que, sinon, on reste des éléments relativement isolés et les projets prennent du temps et de l’énergie, à cause de l’isolement.
Jack Exily est l’auteur de plusieurs albums de BD, éditeur et conférencier. Il a illustré des livres de jeunesse, dont Sina et son nuage et Sina et le secret de la Caraïbe (un récit en quatre versions, française, créole, anglaise, espagnole). Je vous engage à visiter site internet soulnet.org et à suivre son actualité sur Facebook et sur Twitter. Jack Exily apparaît aussi dans notre vidéo du salon de littérature organisé le 30 septembre 2017 par l’espace culturel parisien Lis Thés Ratures créé par Roxane Yap.
N’est ce pas l’heure de la Revolution de Bob Marley ?
It takes a revolution (revolution) to make a solution ;
Il faut une révolution pour qu’il y ait une solution ;
(doo-doo-doo-doo)
(doo-doo-doo-doo)
Too much confusion (aaa-aaah), so much frustration, eh !
Trop de confusion (aaa-aaah), tellement de frustration, eh !
I don’t wanna live in the park (live in the park) ;
Je ne vivrais pas enfermé ( vivre enfermer) ;
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