Le pardon
Jeunes beautés qu’Amour enflamme,
Jeunes beautés, écoutez-moi ;
Craignez d’abandonner votre âme
À l’homme dont vous suivez la loi :
Source de joie et de tristesse,
C’est un ingrat, c’est un enfant ;
Il faut user d’un peu d’adresse,
Et l’enchaîner en lui cédant.
L’amour pour vous est une affaire,
L’amour pour l’homme est un plaisir ;
S’il est jaloux par caractère,
Il est volage par désir :
Imitez-le, lorsqu’il s’envole ;
Dès qu’il s’irrite, osez le fuir ;
Quand de sa perte on se console,
Il est prompt à reconquérir.
Quelque transport qui vous agite,
Ne pardonnez qu’avec effort :
Un pardon accordé trop vite
Semble permettre un nouveau tort.
Que le mépris seul vous anime,
Si l’on blesse encor votre cœur ;
Un second outrage est un crime,
Un premier peut être une erreur.
Ne pleurez jamais un volage,
Ne cherchez point à l’outrager ;
Ce n’est qu’en montrant du courage
Qu’une femme doit se venger :
Pourtant évitez le coupable,
Vos feux pourraient se rallumer ;
On trouve toujours trop aimable
L’amant qu’on doit cesser d’aimer.
Vous même, en votre humeur légère,
N’élevez point de vains débats :
Quand un objet cesse de plaire
On lui croit des torts qu’il n’a pas.
Le repentir suit les coquettes,
Plus on change et moins on est bien ;
Restez toutes comme vous êtes,
Aimez longtemps, ou n’aimez rien.
Constance de Théis, princesse de Salm-Dyck (1767 – 1845), est surnommée par Marie-Joseph Chénier, « la Muse de la Raison » ; elle fut aussi appelée « le Boileau des femmes ».
C’est une femme de plume et de passion vive, autant éprise de liberté que de désir d’aimer en un siècle qui ne l’entendait pas ainsi.
Voilà pourquoi, dans son Épître aux femmes (1797), Constance-Marie de Salm-Dyck dit :
Les temps sont arrivés, la raison vous appelle :
Femmes, réveillez-vous, et soyez dignes d’elle.
Aux pages 35 et 36 de l’anthologie L’Érotisme dans la poésie féminine – Des Origines à nos jours, Pierre Béarn écrit qu’elle souffre de la perte des illusions de la jeunesse, ayant aimé, très jeune, un inconstant :
[…] Elle n’hésite pas à donner à ses consœurs des conseils. […] Et elle leur prêche une sorte de révolution dans les habitudes de la vie en commun, où la femme au foyer n’était qu’un complément.
Les peintures qui accompagnent la poésie sont de Jacqueline Devreux une artiste peintre et photographe belge dont vous pouvez voir d’autres œuvres dans un article du blog consacré à Body Art, un étrange roman de l’écrivain américain Don DeLillo. Le site web de Jacqueline Devreux est à portée de clic ici.
Encore une magistrale plage de détermination femme avec Anti Love Song de Betty Davis, une volcanique chanteuse de soul et de funk américaine, qui fut la seconde épouse de Miles Davis, lequel a toujours reconnu la grande influence qu’elle a eu sur son travail.
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