Un événement intense sous le signe de l’excellence noire
Afro Women’s Voices Talk s’est déroulé le 7 mars, la veille de la journée internationale des droits des femmes, au Muntpunt, à Bruxelles.
Cet événement inédit a mis à l’honneur un éventail de personnalités dont la trajectoire témoigne de l’empowerment des femmes noires, de leur capacité d’action, leur détermination face aux obstacles sur le terrain professionnel comme privé.
Les récits de ces réussites très différentes sont autant de repères pour les Africaines et les Afrodescendantes qui manquent de références valorisantes. Raison pour laquelle le jeune public était au rendez-vous.
La soirée est organisée par Yvoire de Rosen, présentatrice sur la chaîne de télévision BX1 et manager et relation publique d’Ethno Tendance Fashion Week Brussels, ainsi que par Black Women Rock, et le Mwanamke collectif afroféministe belge qui célèbre son premier anniversaire.
Les Mwanamke inaugurent la soirée par une intervention (pour les no-membres de Facebook, c’est ici) sur la résilience des femmes afro. Quant aux objectifs et aux actions du collectif, les prises de position, manifestations de soutien, organisations d’événements et de rencontres, notamment le brunch dominical… Les vagabonds sans trêves ont consacré, à cette formidable dynamique, un article.
Le slam en anglais de la poétesse Monica Kamara, que la lumière d’un projecteur auréolait heureusement, fait vibrer la salle.
Véronique Clette-Gakuba décrit son parcours universitaire et la difficulté de faire évoluer, dans le champ de la sociologie, une vision de la condition noire déformée par les préjugés. Les initiatives sont découragées par un académisme invoquant le critère d’objectivité, d’indépendance ou de distance à entretenir avec le sujet d’analyse — un argument d’autant plus discutable qu’il sert de paravent à l’immobilisme.
Une quinzaine d’années après d’être éloignée de la recherche sociologique, Véronique Clette-Gakuba décide d’entreprendre une thèse sur le déploiement d’un territoire artistique subsaharien, à Bruxelles. Sa recherche, financée par la Région bruxelloise, tend à mettre en évidence que les pratiques artistiques sont un espace d’expression et d’épanouissement pour un groupe de population disqualifié par le monde professionnel.
La comédienne Babetida Sadjo dit que sa mère l’a très jeune encouragée à lire, parce que les livres mettent le monde à la portée du lecteur. Elle décrit son périple enfant, avec une voix d’une calme fermeté.
Née en Guinée Bissau, elle se retrouve, à douze ans, au Vietnam où elle y découvre le théâtre. Quatre ans plus tard, elle arrive en Belgique et continue le théâtre. Puis, Babetida Sadjo rentre au Conservatoire Royale de Bruxelles. Elle est l’unique Noire de son cours dramatique, le singleton dont le cœur et la passion théâtrale ne font qu’un : être sur les planches est un besoin vital pour celle qui aime le répertoire classique. Elle est l’auteure d’une pièce : Les murs murmurent.
La solaire Émilie Ouedraogo est une jeune entrepreneuse, dont la boutique Krôme Brussels est dédiée aux extensions capillaires et aux bijoux de cheveux.
La perte d’un frère, ayant quasi le même âge qu’elle, a été un déclic. Émilie Ouedraogo décide de vivre pour deux et de s’associer aux bonnes personnes qui lui permettent de surmonter les obstacles sur le chemin d’une réussite qu’en esprit, elle partage avec ce frère trop tôt disparu.
Comment n’être pas admiratif de la détermination flamboyante de Marie Chantal Uwitonze, née au Rwanda et dont la perte des parents à l’âge de douze ans semblait sceller le sort : la tradition veut qu’en tant qu’aînée, elle se sacrifie et devienne le soutien de ses cadets.
Le sentiment de sa valeur sont les sandales ailées qui l’on transportée en Algérie et en Belgique où elle a travaillé afin de payer ses études. Refusant d’écouter les voies du déterminisme et les prédictions d’échec, aujourd’hui, cette spécialiste en relations internationales (diplomatie et résolution de conflits) est conseillère au Parlement européen. À la tête de ADNE, elle œuvre afin que les institutions et les entreprises européennes intègrent davantage l’expertise des diasporas dans leurs projets sur le continent africain.
Marie-France Vodikulwakidi a un peps contagieux, un allant super séduisant. Elle se dit allergique aux drama queens qu’elle a dû aimanter par le passé. En riant, elle raconte que ses parents l’exhortaient à briller en classe, sous peine de finir éboueur. Rien n’y fit !
Elle se donnera à cent pour cent sur le terrain professionnel. Ce qui ne l’empêche pas, un jour, d’être congédiée, suite aux plaintes d’une collègue. Qu’à cela ne tienne, elle trace son chemin. Marie-France Vodikulwakidi est une « événementielle » reconnue. Elle croit aux vertus du dialogue franc : sans se transformer en angry black woman, elle n’hésite pas recadrer les conduites racistes.
Dalilla Hermans est née au Rwanda. Elle a été adoptée par des parents blancs habitant la campagne flamande. Ces derniers sont des gens bien, mais le racisme, dans leur village, est décomplexé et brutal. Avec une générosité magnifique, elle décrit son expérience. N’empêche, elle a su se faire des amis, grâce à son caractère enjoué.
Dans Charlie Magazine, un média en ligne, Dalilla Hermans a mis sa plume au service de la lutte contre le racisme. Elle a lu un poème de toute beauté 50 Shade of Brown qu’elle a publié sur Facebook (pour les non-membres de ce réseau social, cliquez ici).
La psychologue de formation Mireille Tsheusi Robert est la voix de la vaillance qui milite pour les droits des Afrodescendants en Belgique. Elle est l’auteur du livre intitulé Racisme anti-Noirs Entre méconnaissance et mépris. Quand les conséquences des discriminations et des préjugés structurels sont autant minimisées, quand la paix est aussi négative, se défendre est un devoir. Comment ?
Partant du mot résilience, Mireille Tsheusi Robert a forgé le néologisme afrilience désignant la capacité de se repositionner, retrouver l’estime de soi et le sentiment de sa valeur. Elle rappelle que, grâce à la mobilisation d’associations et aux manifestations, Naithy Nelson, un jeune homme poignardé le 1er février 2017 par un chauffeur de bus, est passé du statut de suspect à celui de victime.
C’est, émue aux larmes par l’histoire de Naithy Nelson, qu’Hélène Christelle Munganyende s’avance. Cette afroféministe néerlandaise, née au Rwanda, est étudiante en science politique. Ses larmes me touchent. À se vouloir solide en toutes circonstances, on en oublie presque que l’expression de la vulnérabilité est naturelle. Merci Hélène Christelle !
En récitant une poésie emplie de la nostalgie de sa grand-mère, la munificente Hélène Christelle Munganyende est cette ballerine des mots dont les hésitations et mêmes les trébuchements sont exacts.
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, en rentrant de cette soirée prestigieuse et chargée d’émotion, j’avais le cerveau effervescent, joyeux à n’en pouvoir dormir. Alors j’ai écouté, les Nocturnes de Chopin par Claudio Arrau. Le nº 20 en do dièse mineur est mon préféré.
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