En compagnie des superhéros africains
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, la rubrique Entretiens compris accueille le Togolais Koffivi Mawuto Assem, écrivain de livre pour enfants et éditeur, dont j’ai fait la connaissance en mars dernier, au Salon du livre de Paris. Une belle rencontre que nous nous étions promis de prolonger par un entretien.
Les vagabonds sans trêves : Bonjour Koffivi Mawuto Assem, comment en êtes-vous arrivé à porter cette double casquette ?
Koffivi Assem : Eh bien, j’ai publié, en 2003, mon premier livre : Rose-fleur aux éditions Ruisseaux d’Afrique. Entre 2003 et 2007, j’ai écrit des contes et des textes destinés aux enfants. Et j’ai découvert à Limoges, lors d’une résidence d’écriture, des bandes dessinées que j’avais perdues de vue en Afrique, parce qu’elles n’existaient pratiquement plus dans mon pays. C’est ainsi que la maison d’édition a démarré et commencé à se construire petit à petit, autour de l’ambitieux projet de créer des mangas africains. La revue qui devait lui servir de support, Ago fiction, n’a connu que quatre parutions, mais s’il n’a pas abouti, ce projet a eu le mérite de me faire connaître dans le milieu où on dit que les superhéros africains, dans l’espace francophone, ont été créés par Koffivi Assem, au Togo. La maison d’édition Ago Média a été fondée en 2011. Notre première B.D. était Haïti mon amour. Le récit se déroule à Port-au-Prince, sur fond de séisme du 12 janvier 2010 et le héros est un petit garçon des rues.
La B.D. a été publiée quand ?
En 2012 ! Elle nous a fait connaître, a permis que les gens nous prennent au sérieux. Dans le registre financier, nous n’avons pas eu le retour escompté. Parce que les partenaires pressentis qui, en Haïti, devaient acheter les droits du livre ne l’ont pas fait. Au Togo, les gens s’intéressaient peu au sujet. En France, on n’a pas pu intégrer le projet La Bataille des livres, parce que la B.D. n’avait pas une fin heureuse. La fin un peu tragique a fait dire que c’était une belle histoire, seulement, dans la main des enfants, il fallait mieux mettre des récits massivement porteurs d’espoir. Je n’étais pas convaincu par l’argument ! Mais à côté de Haïti mon amour, on avait fait un joli petit livre tout simple qui s’appelait Ziguidi et les animaux. Ce petit livre qui coûte six euros nous a empêchés de couler. Que Ziguidi et les animaux soit devenu le best-seller de la maison d’édition a motivé les auteurs et nous a poussé à lancer une série Ziguidi. Donc après, il y a eu Ziguidi et la flûte enchantée.
Quelle est la vocation d’Ago Média ?
Au départ de l’Afrique, faire rêver sur l’Afrique. D’où le livre Mythes & Légendes africains ! Le tome I nous a demandé trois ans de travail, et même un peu plus. Mais c’est parce que le projet a eu beaucoup de succès. La première version, piquée à cheval (agrafée), a donné lieu à une autre version à la couverture souple qui était, quand même, plus présentable. Enfin, il y a eu une troisième version avec la couverture cartonnée. Ce livre montre ce que nous voulons faire : proposer au public notre façon de raconter les mythes et les légendes africains et, en définitive, de raconter l’Afrique. Comprenez, raconter pour le plaisir de conter, cette joie fait partie de notre vision du monde et pas forcément raconter d’un point de vue idéologique, car on n’a rien à prouver à personne. On veut juste faire rêver les enfants, leur raconter ce qui se passe chez nous. Et ce faisant, on touche aussi à l’histoire, reconnue par les historiens ou pas. Mais ça, au fond, on s’en moquait. Avec la divinité Shango, les amazones du Dahomey, Agokoli, le roi des Ewé et bien d’autres, notre but, c’est entre le fabuleux, le mythe et la sagesse de la vie quotidienne, de donner de la bonne matière aux enfants.
Nourrir leur imaginaire de façon positive, sachant que sur le continent africain, il y a beaucoup de choses de grande qualité à offrir, beaucoup à valoriser ?
Oui ! Voilà le désir qui nous porte. C’est ainsi que nous avons commencé notre aventure.
Mais Ago, le nom de la maison d’édition a-t-il un sens ?
Oui, ago en a même deux. Le premier veut dire la côte. Le second sens est l’expression qu’on utilise chez nous quand on arrive quelque part pour s’annoncer, signifier : excusez, faites de la place. Donc quand on arrive dans un endroit qui n’est pas clos, un endroit ouvert où il y a des gens, c’est une façon de faire toc toc, on dit ago pour signaler, fait de la place, on arrive !
Vous êtes basé où ?
À Lomé, au Togo. Et on avance à notre rythme… De livre en livre, de sujet en sujet, on s’affirme. Notre maison d’édition est petite, mais elle est bien établie, puisque on n’attend pas de vendre des ouvrages avant de continuer à publier. On fonctionne très simplement. On a une agence de communication qui fait des travaux de commande, qui travaille sur la corruption et sur d’autres sujets de société et ces projets financent l’impression des livres. On est donc une des rares maisons d’édition africaine qui ne fait pas de l’édition à compte d’auteur. Et ce n’était vraiment pas notre ambition de publier des gens à compte d’auteur. Publier à compte d’auteur signifie aussi éditer des projets qu’on n’aime pas. Seulement le domaine dans lequel on évolue, la bande dessinée, fait travailler des acteurs qui n’ont pas d’argent pour financer des livres. Les artistes-dessinateurs à qui on confie un scénario n’ont pas les moyens de payer les frais de fabrication des B.D. même quand ils sont regroupés dans un album collectif, comme Mythes & Légendes africains. Or l’intérêt est qu’un lecteur peut acheter le livre parce que le sujet et le traitement fait par un dessinateur lui plaît et, dans la foulée, en découvrir d’autres.
Combien de dessinateurs ont créé Mythes & Légendes africains ?
Il y en a cinq dans le tome I.
Comment est venu le déclic ou le désir de faire cet album ?
Lorsqu’en 2009, moi et mon dessinateur avons commencé à nous rendre dans des salons pour vendre des livres, des éditions Graines de Penséesqui nous publiaient, nous nous sommes rendu compte que le continent africain intéresse les gens. Qu’ils soient Français, Belges ou Suisses, l’Afrique suscite leur intérêt, pas parce que l’Afrique est extraordinaire, même si certains le pensent, mais parce que l’Afrique dit autre chose que leur quotidien. Nous nous sommes avisés que plein de choses se disent en Afrique, des tas de récits et d’histoires intéressantes, sur ce continent, qui ne sont pas accessibles au public… Vu que beaucoup de livres produits sont à caractère idéologique et sont vraiment instrumentalisés, il fallait trouver un sujet. C’est ainsi que notre dessinateur et directeur artistique a dit : si on travaillait sur les mythes et légendes ? Notre intention a été alors de parler des rois célèbres, des divinités importantes ou des hommes ayant été élevés au rang de divinité. On a voulu parler des mythes fondateurs. On pourra traiter d’épisodes historiques qu’on trouve dans les livres, mais on s’attachera aussi à ces récits que monsieur Tout-le-Monde raconte.
Combien de titres comprend votre catalogue ?
Une vingtaine. Parce qu’on a fait le choix d’avancer lentement et sûrement ! Désormais on songe à se lancer dans la littérature générale. C’était un de nos objectifs et si nous avons tardé à le faire, ce n’est pas que nous n’étions pas intéressés, mais plutôt qu’on voulait se démarquer, avoir une identité bien marquée, qu’on sache où nous nous trouvons, ce qui fait notre singularité.
Un deuxième tome de Mythes & Légendes africains est prévu ?
Évidemment qu’on fera plein d’autres tomes. D’ailleurs, nous travaillons déjà sur le deuxième tome.
Cher tout le monde, Femmes, hommes et tant d’autres, en vous invitant à retrouver les Éditions Ago et leur actualité sur Facebook (ici), puisque nous est tous des superhéros, au super pouvoir d’être nous, je vous quitte avec le très rock Fly away (1998) tiré de l’album sobrement intitulé 5 du top de chez top Lenny Kravitz :
I wish that I could fly
Je souhaite pouvoir voler
Into the sky
Dans le ciel
So very high
Vraiment très haut
Just like a dragonfly
Juste comme une libellule
I’d fly above the trees
Je volerais par-dessus les arbres
Over the seas
Au-dessus des mers
In all degrees
Dans toutes les températures
To anywhere I please
Vers n’importe où, je serais enchanté
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