Be Yourself ! Au-delà de la conception occidentale de l’individu.
Sois toi-même !
Oui, mais comment ? Le philosophe François Flahault demande, dans un essai publié aux Éditions Mille et une nuits, en 2006.
Que signifie cette injonction ? Sur quel préjugé repose le fameux sois toi-même ? L’idée qu’on est soi par soi.
Étrange vision de l’être humain, car la relation, donc la coexistence, précède l’existence de soi (p. 7).
Cher tout le monde, femmes, hommes et tant d’autres, avant d’être un slogan de marketing de masse, be yourself a été la profession de foi élitiste et pleine d’ubris des artistes, des chanteurs, comme Georges Brassens, des philosophes, comme Nietzsche et des écrivains comme Ralph Emerson (p. 36), Oscar Wilde (p. 48), Henry Thoreau (p. 26), Henrik Ibsen (p. 44).
La croyance sous-jacente est que chacun détiendrait un noyau intérieur qui existe par lui-même (p. 14). Un peu comme Robinson Crusoé, seigneur-ermite puisant en lui les règles de ses actions.
Or qui peut se faire exister seul comme Robinson ?
Mais vu que dans la philosophie occidentale, le soi est natif, la question des liens interhumains est délaissée.
Le sujet philosophique est un homme adulte, jamais né des œuvres d’une mère.
Il est sans enfance (p. 58).
Le sujet philosophique vit dans un monde et pense dans un autre où la vie banale en société est dépréciée.
Il n’a pas à se faire exister, il existe en tant qu’être de pensée, un être pour lequel la conscience de soi se confond avec le sentiment d’exister. (p. 72) Or, il est possible d’être conscient de soi et d’éprouver un pénible sentiment d’inexistence.
Le sentiment d’exister naît d’une circulation entre notre esprit et ce qui l’environne (p. 76). Notre rapport aux autres n’est dès lors pas que subordonné à la morale ou à la volonté, c’est un besoin inséparable du destin humain (p. 81).
Un besoin relationnel aussi nécessaire que l’eau au poisson. Un besoin qui requiert une certaine coopération et la réciprocité nous assurant une bonne assiette psychique.
Sans autre, nous sommes peu. Voire rien. Notre équilibre mental est menacé, menacé d’anéantissement par le vide.
D’où l’importance pour chacun d’appartenir à un monde commun, juste, équitable, respectueux les uns des autres : l’exigence morale ne tombe pas du ciel, elle est la condition nécessaire à la coexistence pacifique.
François Flahault se tourne vers les contes afin de trouver d’autres conceptions de la vie plus soucieuses de l’interdépendance et du fait que chaque identité soit située par rapport à d’autres identités et reconnue par celles-ci.
Les contes traduisent le besoin de séduire et d’amour, les rapports des générations, les limites de la condition humaine, la mort, car faire place à l’autre, c’est s’accepter mortel (p.124). Pour se faire accepter en tant que personne, il faut reconnaître son manque à être, l’accepter, croire que quelque chose de bon peut en sortir.
Au chapitre VII, il est question de Cendrillon (p. 150). Dans Cendrillon, sont distinguées les deux formes de reconnaissance, celle inconditionnelle des parents et celle qui est à acquérir.
Les jeunes humains ont à se détacher des parents pour devenir homme ou femme et ce passage se fait à travers un don : la marraine-fée et la marâtre sont les deux faces de la relation mère-fille.
Pour n’importe qui, se faire reconnaître, compte deux versants : se rendre désirable et se faire identifier. Mais plus nous voulons séduire, moins nous sommes portés à nous montrer tels que nous sommes et dans ce qui fait notre identité, notre singularité.
Nous confondons singularité et le fait d’être exclusivement intéressant.
Cendrillon en perdant sa chaussure évite le piège du désir de séduire. Elle amène le prince à la voir sous son jour de souillon (p. 159).
De François Flahault, je vous recommande aussi la lecture de l’essai Le sentiment d’exister, le PDF est accessible sur le site web de l’auteur ou simplement en cliquant ici.
Remerciements à la photographe Marianne Begaux. Retrouvez ses photographies sur son website et sur Flickr. Et restons encore dans l’interprétation des contes avec Cendrillon, une chanson composée par Louis Bertignac, interprétée par Téléphone, sortie en 1982 dans l’album Dure Limite et chantée par Louis Bertignac.
Il semblerait que le Be Yourself et le Do It Yourself sont les deux conséquences d’un même désir: le besoin réalisation de soi.
Il est sans doute la conséquence du conformisme extrême qui nous est imposé dans tous les aspects de notre vie. Dans le monde occidental, il y a clairement un fossé entre les droits proclamées en droit et le quotidien de la population, en particulier dans le domaine des libertés.
Les préceptes du Be Yourself et du Do It Yourself sont sans doute une réponse aux frustations engendrés par cette situation. L’idée est de se sentir moins impuissants et moins encadrés.