Artémis
La Treizième revient… C’est encor la première ;
Et c’est toujours la Seule, – ou c’est le seul moment :
Car es-tu Reine, ô Toi ! la première ou dernière ?
Es-tu Roi, toi le seul ou le dernier amant ? …
Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement :
C’est la Mort – ou la Morte… Ô délice ! ô tourment !
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.
Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule,
As-tu trouvé ta Croix dans le désert des cieux ?
Roses blanches, tombez ! vous insultez nos Dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :
– La sainte de l’abîme est plus sainte à mes yeux !
Artémis fait partie de l’extraordinaire recueil de douze sonnets intitulés Les Chimères du poète français Gérard de Nerval (1808-1855). Le mystère singulier ayant offert ces douze joyaux qu’on ne cesse d’apprendre par cœur, commenter, décortiquer, le mystère Nerval, c’est d’être fou comme on l’est sans coquetterie, donc fou comme le sera Antonin Artaud, c’est-à-dire d’abord génial et partout poète dont la conscience voyage dans les limbes dont on ne revient pas indemne, des néants agissants d’où on n’en peut plus de revenir, et puis, un jour, on ne revient pas !
Le poète pendu est à jamais la sublime figure fragile luttant contre l’infini mal de soi effrité en soi. Tout le monde : romantique, mallarméen, symboliste, rimbaldien, surréaliste, psychanalyste… s’est reconnu dans les contrastes fous et fertiles de sa plume limpide et ésotérique, brillante et sombre, audacieuse et humble.
Je vous propose d’écouter Actéon, une pastorale en six scènes du compositeur français baroque Marc-Antoine Charpentier (1643-1704).
Au fait, qui est Actéon ? Voilà en résumé sa fin tragique telle que la poétise Ovide dans Les Métamorphoses : le jeune Actéon, au soir d’une fructeuse journée de chasse, il s’égare involontairement dans une vallée consacrée à la déesse de la chasse, Artémis pour les Grecs, Diane pour les Romains, dont les attributs sont la biche, le croissant de lune, l’arc d’or, le carquois et les flèches avec lesquels elle parcourt les bois et les monts. Complexe, froide, indomptée, ombrageuse, la divinité lunaire surnommée aussi la dame des fauve est la sœur jumelle d’Apollon, le dieu de la lumière. Tous deux sont, d’après la tradition homérique, nés des amours de Zeus avec la mortelle Latone…
Revenons au jeune Actéon égaré dans la vallée au fond de laquelle une grotte naturelle alimentée par une source vive sert de lieu de détente à la déesse et à ses compagnes, après la chasse. C’est là que l’infortuné Actéon surprend la déesse en train de se baigner. Sans attendre, Artémis furieuse punit Actéon, involontairement indiscret, en le métamorphosant en cerf. Actéon, conscient, mais incapable de parler, meurt lacéré par la meute de ses propres chiens, qui s’acharnent sauvagement sur lui, en présence de ses compagnons de chasse, qui ignorent tout de son identité. Cette cruelle punition aurait enfin apaisé la colère de la déesse.
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