Le voyage extraordinaire
J’ai six ans et demi et je ne suis pas nombreuse dans la tête, juste Christophe et les babilleuses voix infans de la prime triplette créole : Zoé, Inome, Génésia, au moment de l’il était une fois ludiquement normal du voyage extraordinaire, où, en donnant la main à une hôtesse, j’embarque à l’aéroport François Duvalier de Port-au-Prince.
Sur le siège d’à côté, un gros monsieur tout rose à la prononciation étrange et qui aime bien parler, apprend qu’il vit dans un endroit qui s’appelle Flandre et dont les habitants sont les Flamands, avec un d, car avec un t, flamant est un grand oiseau rose parce qu’il mange des crevettes.
Comment cela est possible les crevettes qui colorient les oiseaux ? il ne peut l’expliquer. Ce que peut le gros monsieur tout rose, c’est montrer la photo de ses enfants qui sont plus petits que Christophe, avec des cheveux presque aussi blancs que des copeaux de coco, des yeux ciel clair et la peau si rose également que Christophe s’interroge, qui demande s’il y a des crevettes où il habite ? Comme le gros monsieur tout rose dit les crevettes de la mer du Nord, tout s’explique. Ensuite, le gros monsieur tout rose raconte l’histoire bizarre d’une statue de petit garçon qui fait pipi sur une place en Belgique, pays inconnu qui, du coup, dégoûte.
Christophe atterrit à – c’est dur à prononcer – Nou-iorque où, dans l’aéroport, il y a plus de personnes blanches et même dorées, avec des yeux fendus et des cheveux noirs lisses, et celles-là, Christophe se dit, ils sont des Chinois. Elle demande ce que tous parlent et leur langue inconnue, on lui apprend, s’appelle anglais. Christophe fait la connaissance de la tante Marie-Yvonnette et l’oncle Herman qui sont contents de la conduire, dans une grande voiture qui roule vite, jusqu’à la grande maison belle où ils habitent avec leurs trois enfants : Salomé, Junior et Alexandra. Et eux parlent français, car ils sont la famille de PapiJo et manman Énéide qui sont le père et la mère de Christophe en Haïti. Les enfants disent autrement les mots, à cause de la prononciation anglaise, mais qu’on n’entend pas quand ils rient : le rire n’a pas d’accent. Dans leur quartier appelé Dix Hills et qui est dans la ville de Huntington de l’île de Long Island, il y a plein de grandes voitures brillantes décorées à l’avant de métal, et partout des jardins avec de grands arbres jaunes et bruns dont les feuilles tombent parce que c’est, on lui explique, la saison de l’automne et bientôt ce sera l’hiver. Dans la rue, les voisins sont tous blancs et il faut leur dire : hello, how are you ? pour bonjour, comment allez-vous ?
Quelque part dans Manhattan, une ville vitrée, haute comme le haricot magique qui touche le ciel et où il y a foule sur les trottoirs et puis où circulent sur la route beaucoup de voitures et de taxis jaunes et un vent froid et fort qui mord la figure et raidit les doigts, Christophe se souvient que tante Marie-Yvonnette m’achète des vêtements chauds en laine, lourds et qui grattent, ainsi qu’une petite valise.
Christophe fête Halloween. Ça consiste à se déguiser en sorcier pour le cousin Junior et sorcières pour la cousine Alexandra ainsi que pour moi, puis, surveillés à distance par la tante Marie-Yvonnette, à aller, le soir, de porte en porte dans le voisinage en criant : trick or treat ! la façon à New York – j’ai appris à prononcer – de réclamer des friandises qu’avec de gros yeux, la tante Marie-Yvonnette a complètement fort interdit de manger : des gens très méchants qui n’aiment pas les enfants mettent des poisons pas bons, des aiguilles à coudre ou des clous dans les bonbons et les chocolats.
Persuadée d’aller à Paris, de l’autre côté de l’océan en France qui est en Europe, d’où dans ses yeux, belles flammes la petite fille va à Paname, Christophe repart à bord d’un gros avion à bosse où la gentille hôtesse de l’air appelle napkin la serviette en papier que Christophe, diligente, dépose sur la tablette des passagers qui disent thank you !
Un gros avion où le rigolo copilote copain joue à cache-cache et, en haut de l’escalier en spirale, aux passagers qui ont plus de place, du doigt elle fait chut ! Mais le plus chouette, oui, promis, je ne touche à rien, c’est la cabine éblouissante, vraiment, feu d’artifice de petites lumières, de partout cadrans, boutons jusqu’au plafond et minuscules choses colorées dont Christophe ignore le nom, laquelle, après, hello monsieur ! au mécanicien sur la droite, bonjour ! au commandant de bord à gauche, se retrouve sur les jambes du copilote copain et devant eux ce qu’il tient, on dit ça manche et la vitre pare-brise.
Car elle apprend vite. Pose des questions. Que fait-on quand il y a un problème ? Aux hommes qui la rassurent, ne t’inquiète pas, tout se passera bien, Christophe dit qu’elle ne s’inquiète pas, elle aimerait savoir ce qu’ils font si quelque chose arrive. Pourquoi ? Pour comprendre ! Les pilotes, ah bon, lui répondent qu’ils ont des livres en cas d’urgence et ils les sortent, d’où, ô impossible traçabilité des souvenirs, la tête n’a pas archivé, mais l’important c’est qu’ils lui montrent combien ils sont gros, les livres, de toutes les solutions à tous les problèmes possibles. Elle, quoi ! s’exclame, alors on peut tout trouver dans les livres ? Bien sûr, ils garantissent que, si n’importe quoi arrive, on cherche à la bonne page et on fait ce qui est écrit pour s’en sortir. Christophe, convaincue, retient la réponse pilote…
Extrait du projet de roman Les fictions schizoriginelles.
On se quitte avec Patti Smith et l’extraordinaire Distant Fingers :
When when will you be landing
Quand quand atterriras-tu ?
When when will you return
Quand quand reviendras-tu ?
Feel feel my heart expanding
Sens sens mon cœur agrandissant
You and your alien arms
Toi et tes bras étrangers
C’est merveilleux de pouvoir ressentir a nouveau le monde avec l’ancienne fraicheur et innocence de l’enfant! Très beau!